« Aujourd’hui, maman est morte » telle est la première phrase du roman d’Albert Camus « L’étranger » écrit ici en arabe.
« Pour la première fois depuis bien longtemps, j’ai pensé à maman. » dit-il avant d’être exécuté. Telle est une des dernières phrases du même roman. Quelle est donc la signification de ce roman, écrit en 1942, dont l’auteur reçut le prix Nobel de littérature ? Investiguons l’histoire, la constellation familiale selon Bert Hellinger, puis la généalogie d’Albert Camus pour la déchiffrer.
L’histoire de « l’étranger »
Meursault, employé de commerce qui sort avec Marie Cardona, vient d’apprendre la mort de sa mère dans un hospice.
Voici les différentes étapes du roman :
- Son voisin, Raymond Sintès, se bagarre avec sa maîtresse « maure » et lui demande de témoigner face aux gendarmes, ce que fait Meursault. Pour le remercier, Raymond l’invite chez son ami Masson. Sur la plage, ils rencontrent le frère de la maîtresse qui taillade Raymond avec son couteau.
- Plus tard, seul sur la plage, Meursault rencontre à nouveau le frère de la maîtresse maure. Se sentant menacé par un couteau, il le tue en tirant à 4 reprises.
- S’ensuit un procès dans lequel il est plus reproché à Meursault d’avoir été indifférent au sort de sa mère qu’au meurtre qu’il a commis. Et il est condamné à mort, la peine de mort étant demandée, « le coeur léger », par le procureur.
- Un curé lui dit « mon fils, je suis avec vous mais vous ne pouvez pas le savoir et je prierai pour vous ». Meursault, en colère, lui dit « vous n’êtes pas mon père ».
Les dernières paroles sont :
Si près de la mort, maman devait s’y sentir libérée et prête à tout revivre. Personne, personne n’avait le droit de pleurer sur elle. Et moi aussi, je me suis senti prêt à tout revivre. Comme si cette grande colère m’avait purgé du mal, vidé d’espoir, devant cette nuit chargée de signes et d’étoiles, je m’ouvrais pour la première fois à la tendre indifférence du monde. De l’éprouver si pareil à moi, si fraternel enfin, j’ai senti que j’avais été heureux, et que je l’étais encore. Pour que tout soit consommé, pour que je me sente moins seul, il me restait à souhaiter qu’il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu’ils m’accueillent avec des cris de haine.
La constellation familiale selon Bert Hellinger de L’étranger.
Plaçons les différents protagonistes, la famille Meursault, la famille Maure et Raymond Sintès, celui qui s’est fait menacer.
Le fils Meursault a envie de mourir
La maman a envie de partir et le fils est face à la fenêtre. Meursault a déjà envie de mourir. Sa main droite bouge. Il cherche peut-être déjà maman.
La mère maure est plus importante que la soeur
Le frère se place à la gauche de sa mère et l’aime beaucoup. Sa soeur se place à sa gauche.
Raymond Sintès aime bien la soeur maure
Il vient se placer à côté de la soeur maure qui se sent obligée de rester avec lui. Voici la configuration…
Le père Meursault s’en va et le fils le suit. Dans cette configuration, la famille maure et la famille Meursault sont face à face et Meursault veut mourir. La mère aimerait avoir un copain après la mort de son mari.
Marie vient et Meursault revient
Quand la représentante de Marie vient, Meursault revient. Elle est vraiment une source de vie pour lui. Comme il lui dit que sa mère est morte, elle a envie de la remplacer en se mettant à sa droite. Meursault n’en a pas envie et elle revient à sa gauche.
La suite de l’histoire
- Raymond bat sa maîtresse. Le représentant n’a pas envie « c’est contre nature ». Pour le frère, « tant qu’il ne touche pas à ma mère, ça va ! »
- Raymond demande à Meursault de lui écrire une lettre. Son représentant est d’accord, mais pas sa copine Marie qui a plus de bienveillance que lui.
- Le frère maure est face à Raymond. Son représentant est en colère. Meursault avance spontanément pour défendre Raymond. Il n’a vraiment pas envie de le tuer, surtout pas après qu’il soit tombé à terre. C’est égal à Raymond qu’il soit mort.
- Quand le procureur demande à Meursault s’il a pleuré à la mort de sa mère, en lui rappelant qu’il est allé voir un film de Fernandel avec sa copine, il est triste. Le procureur n’a pas envie de le condamner à mort, et pense que Camus a voulu dénoncer la peine de mort en la caricaturant. Un juré n’a pas envie de juger.
- Quand le curé lui dit qu’il priera pour lui, Meursault est complètement indifférent. « Il me raconte des salades ».
- Il s’allonge au sol à côté de l’Algérien. Il est bien à côté de sa mère, même quand son père s’allonge auprès de lui. Le curé est content, c’est son « fond de commerce ».
- La mère du maure est contente de la mort du meurtrier de son fils, pas la soeur.
En résumé, Meursault veut mourir pour rejoindre sa mère, il ne veut pas tuer l’Algérien et personne ne veut le condamner à mort pour son acte à part la mère de l’Algérien. Essayons d’y voir plus clair avec la généalogie de Camus. Quelqu’un veut-il mourir pour sa mère et y aurait-il eu un meurtre dans son histoire ?
La généalogie d’Albert Camus
La mère de Camus, Catherine Sintès, porte le même nom que Raymond Sintès, celui pour qui Meursault s’est battu et sa grand-mère maternelle porte le même que l’amie de Meursault. La mère de Camus est morte après lui, en septembre de la même année. Voici son arbre généalogique. Vous pouvez cliquer dessus pour l’agrandir.
Son père est mort jeune, ainsi que son grand-père paternel. Albert Camus a été élevé par sa grand-mère maternelle, qui eut 9 enfants, dont 2 moururent en bas âge et Albert, son petit-fils était son « chouchou » bien qu’elle le battait. Dans le 1er homme il fait dire à sa grand-mère…
« Tu finiras sur l’échafaud”, répétait-elle souvent à Jacques.
Une première explication plausible de sa dynamique, est l’identification à un oncle maternel mort jeune, représentant les Baléares. Ceci explique pourquoi sa mère s’est mariée avec un homme mort jeune. Sa mère avait 2 frères dont l’un était sourd et muet.
Une deuxième explication viendrait de l’identification au tueur du père de son grand-père maternel. Il raconte ainsi l’histoire d’un arrière-grand-père poète, probablement Miguel Sintès, le père d’Étienne, tué par mégarde en 1863.
Élevée par ses parents mahonnais, dans une petite ferme du Sahel, elle avait épousé très jeune un autre Mahonais, fin et fragile, dont les frères étaient déjà installés en Algérie dès 1848 après la mort tragique du grand-père paternel, poète à ses heures et qui composait ses vers perché sur une bourrique et cheminant dans l’île entre les petits murs de pierre sèche qui bornent les jardins potagers. C’est au cours d’une de ces promenades que, trompé par la silhouette et le chapeau noir aux larges bords, un mari bafoué, croyant punir l’amant, fusilla dans le dos la poésie et un modèle de vertus familiales qui, cependant, ne laissa rien à ses enfants.
J’ai refait une constellation pour vérifier si Albert Camus était identifié à un oncle ou à son grand-père maternel et comprendre qui représentaient les différents personnages du roman. Voici le résultat :
- Albert Camus est identifié à son grand-père maternel, dont le père, né aux Baléares, qui a émigré en Algérie… est l’étranger, pour un algérien.
- Meursault représente l’oncle, Marie Cardona sa mère, Raymond son grand-père maternel. Albert Camus change aussi l’histoire. Il fait tuer par Meursault, le fils du grand-père, un homme qui menace son père Raymond, qui est l’amant….
Albert Camus raconte donc l’histoire d’une personne, son oncle mort, mourant pour sauver son père, le grand-père maternel à qui il est identifié inconsciemment.
En conclusion : mourir pour rappeler le grand-père maternel
Très jeune, Albert Camus est suicidaire « J’ai envie de me marier, de me suicider, ou de m’abonner à L’Illustration. » ou « Je serai un journaliste et je mourrai jeune ». De plus, il cherche sa mère à travers les femmes… « Albert Camus fut un homme à femmes, comptant notamment quatre relations simultanées l’année de sa mort. » Dans ce cas, cela signifie que Albert Camus est lié au destin de sa mère, identifié à un de ses frères morts ou à son père.
Identifié à son grand-père maternel, il l’est aussi au tueur de son père. Ainsi, il veut sauver sa grand-mère Marie Cardona. Il mélange ses 2 dynamiques, celle d’un tueur et d’une personne qui veut mourir pour sa mère pour en faire un roman où il confond les deux. Tout comme le protagoniste de l’étranger, tuer une personne est un bon moyen de se mourir.
Je crois à la justice, mais pas avec les bombes. Entre ma mère et la justice, je préfère ma mère.
Comme le précise Bert Hellinger…
Les hommes meurent pour leur mère.
Références
- Vous trouverez une partie de la généalogie de Camus sur le site de Généanet.
- Un autre site qui retrace la généalogie de Camus.
- Le premier homme, livre plus ou moins autobiographique de Camus, est paru après sa mort.
- Une vidéo décoiffante de Michel Onfray sur Camus qui en profite pour régler ses comptes avec JP Sartre et les philosophes normaliens.
- Un blog de Jean Philippe Depotte qui analyse le roman de Camus. Vous avez aussi une courte vidéo expliquant le message philosophique de Camus selon P. Depotte, « Les règles de nos sociétés ne sont que des pis-aller ».
- Vous pouvez aussi écouter un audio du livre sur un site québécois.
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