Il faut imaginer Sisyphe heureux d’être en vie

Continuant à investiguer l’oeuvre de Camus, j’ai voulu comprendre sa position sur le mythe de Sisyphe, condamné par Zeus à pousser sans fin un rocher en haut d’une colline.

rocherQue veut dire Albert Camus quand il écrit « Il faut imaginer Sisyphe heureux » ? Grâce à une constellation familiale, j’ai pu mettre à jour le message caché, Camus préfère voir son père heureux quand il monte au front avant de mourir.

Le mythe de Sisyphe

Voici ce qu’en dit Camus dans son livre Le mythe de Sisyphe :

Les dieux avaient condamné Sisyphe à rouler sans cesse un rocher jusqu’au sommet d’une montagne d’où la pierre retombait par son propre poids. Ils avaient pensé avec quelque raison qu’il n’est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir. Si l’on en croit Homère, Sisyphe était le plus sage de plus prudent des mortels.

Puis il décrit Sisyphe ainsi :

On a compris que Sisyphe est le héros absurde… On ne découvre pas l’absurde sans être tenté d’écrire quelque manuel du bonheur. Toute la joie silencieuse de Sisyphe est là. Son destin lui appartient. Son rocher est sa chose. Il se sait le maitre de ses jours. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un coeur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux.

Trois faits seraient à l’origine de cette condamnation par Zeus de son petit-fils :

  • Il aurait enchaîné Thanatos à un rocher et plus aucun humain ne mourrait.
  • Il aurait dénoncé Zeus enlevant Egine, fils d’Asope.
  • Il demanda à sa femme de ne pas l’inhumer pour avoir un prétexte pour revenir des Enfers.

J’ai testé les 2 premières hypothèses.

La constellation familiale selon Bert Hellinger du mythe

J’ai donc retenu 3 dieux : Zeus, Thanatos et Adès, qui libère Thanatos ainsi que Sisyphe et sa femme.

Les dieux se placent

Zeus et Thanatos se placent face à face. Ils délimitent ainsi chacun leur territoire, le royaume des vivants et celui des morts. D’ailleurs, Zeus ne meurt jamais. Thanatos ne fait mourir que les hommes.

 Sisyphe arrive

Il se place entre les deux dieux. Zeus le trouve imposant et Thanatos ne voit plus Zeus, son dieu chéri.

Sisyphe1

Veut-il être ni mort ni vivant ? Non, il veut rester vivant et être un dieu, tout comme Zeus, son grand-père.

Sa femme, Merope, vient à la droite de Thanatos. Elle dit « je sens que je vais avoir des ennuis ici ».

Sisyphe2

Elle change de place et se met à sa gauche. Sisyphe est complètement indifférent à sa femme.

Sisyphe est condamné

  • Je teste l’hypothèse d’Egine, enlevée par Zeus. Sisyphe, tout comme Zeus, y sont complètement indifférents. C’est une fausse piste. L’important est qu’il n’ait pas voulu mourir.
  • Je demande à Sisyphe d’attacher Thanathos. Il a envie de le tuer pour ne pas mourir. Merope a alors envie d’aller à la droite de Sisyphe. Sisyphe donne des années de plus à tous les humains, dont sa femme. Celle-ci n’a pas envie d’être une déesse, alors que Sisyphe pense le contraire : si je suis dieu, elle sera déesse et immortelle. Sisyphe est comme Prométhée, il veut sauver le monde des humains. Son discours plait à sa femme parce qu’il s’intéresse à elle, mais ne se sent pas en sécurité. Zeus est en colère contre Sisyphe parce qu’il veut prendre sa place.
  • Hadès vient libérer Thanatos. Il vient à sa droite. Merope revient à sa place, près de Thanatos. Elle meurt.

Sisyphe3              Sisyphe préfère Hadès, le côté obscur.

  • Hadès et Zeus condamnent Sisyphe. Zeus se sent le chef qui délègue à Hadès. Sisyphe n’a pas envie de pousser la pierre, il a envie de la commander. Il entend la consigne et demande : « jusqu’à ce que j’ai le pouvoir ? » Il veut bien le faire si cela a du sens.

Qui représente Sisyphe dans l’histoire d’Albert Camus ?

En faisant venir un représentant d’Albert Camus dans la constellation familiale, il se place devant Zeus. C’était ma première hypothèse. Qui peut estimer qu’une victime soit heureuse, sinon son persécuteur ? Je confronte Sisyphe à Camus et je  fais dire à Camus :

Sisyphe, ce que tu fais n’a aucun sens, mais tu peux être heureux en le faisant.

Sisyphe réagit en le menaçant de prendre sa place. Le personnage se révolte contre son auteur. Il veut le pouvoir sans pousser sa pierre. Il se déclare paresseux.

Puis, le représentant d’Albert Camus dit que Thanatos et Zeus représentent le père et la mère de Camus. Je prend un représentant du père qui veut prendre la place de Sisyphe. Quand il monte la colline, il monte au front, quand il la descend, il revient du front. Quand Albert Camus dit de Sisyphe « il faut imaginer Sisyphe heureux », il pense « d’être en vie ».

Le père d’Albert Camus est mort en 1914 à la bataille de la Marne. Voici ce qu’en dit Camus dans L’envers et l’endroit, dans un dialogue avec sa mère :

C’est sans conviction qu’il a parlé de son père. Aucun souvenir, aucune émotion. Sans doute, un homme comme tant d’autres. D’ailleurs, il était parti très enthousiaste. À la Marne, le crâne ouvert. Aveuglé agonisant pendant une semaine : inscrit sur le monument aux morts de sa commune.

En conclusion

Quel rapport avec l’absurdité ? Est-on vivant en Enfer ? Se sent-on vivant dans une guerre que l’on a pas choisi de vivre ?

  • Sisyphe a besoin de motivation, de sens, pour pousser son rocher. La « prise de conscience » et l’absurdité prônées par Camus ne lui suffisent pas.
  • Au fait, Sisyphe poussant son rocher est-il toujours en vie ? C’est pour cela qu’il avait enchaîné Thanatos. Sommes-nous morts ou vivants aux Enfers ?
  • Beaucoup de poilus montaient eu front de peur d’être fusillés. N’est-ce-point ceci la véritable absurdité ? Le suicide résout-il cette absurdité ? Il trouve peut-être absurde que son père soit parti enthousiaste.

Albert Camus a choisi d’être résistant, il porte une certaine culpabilité personnelle alors que son père reste innocent. Il est mort jeune dans un accident de voiture. Avait-il trouvé du sens à sa vie ?

Pour aller plus loin

Différents livres de Camus :

  • Le mythe de Sisypheoù il parle de suicide et du sentiment d’absurdité en citant Hegel, Jaspers, Kierkegaard, Chestov et Kafka. « Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide ». « Le sujet de cet essai est précisément ce rapport entre l’absurde et le suicide, la mesure exacte dans laquelle le suicide est une solution à l’absurde. »
  • L’Envers et l’Endroit, où il parle de sa jeunesse et de personnages de son enfance.

Vous pouvez aussi un article précédent sur l’étranger, qui représentante son grand-père maternel, dont le père a été tué malencontreusement.

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